Chapitre 1
Crime
au rayon des petits pois en canne
Toute cette histoire commence
dans une ruelle sombre, étroite, un de ces lieux mal famés qui n’inspirent
aucune confiance… des traces de saleté d’origine douteuse couvrent les murs de
brique délavées, le passage est difficile en raison des nombreuses poubelles
renversées, faisant office de demeure pour les rats. D’ailleurs, l’un d’eux
vous regarde avec de petits yeux mesquins, il est bien gras, et son pelage
lourd et terne est recouvert d’une substance huileuse dont il vaut mieux se méfier…
mais quelque chose attire votre attention. Là, dissimulé entre deux sacs
poubelle éventrés, un corps étalé de tout son long, recouvert de sang, à qui il
semble bien manquer un membre… Voilà, là le crime d’un malfaiteur perfide et
cruel, et Dieu sait pourquoi cet homme a commis un meurtre, peut-être
simplement pour un sac à mains ou une montre Rolex… Mais ce n’est pas à ce
crime que l’on s’intéresse, c’est à un autre, alors veuillez me suivre s’il
vous plaît, quittons ce lieu malpropre et dirigeons-nous plutôt vers un petit
bureau miteux et mal éclairé, coincé entre deux gros édifices sur l’avenue
principale. Ah ! Au fait, vous avez marché dans une merde de chien, tout à
l’heure, alors si vous souhaitez vous décrotter un peu avant que cette histoire
ne commence réellement, c’est maintenant ou jamais. Faisons plutôt un petit
saut dans le temps, pour savoir ce qu’on fait véritablement ici et pour nous
aider à y voir plus clair. Tout-à-coup, vous ressentez une sensation étrange,
comme si vous alliez vous endormir. Vous voyez trouble autour de vous, les
contours de la ville s’estompent et s’étirent bizarrement. Non, le serveur du
café du coin ne vous a pas drogué, ce sont tout simplement les effets du flash
back. Étourdi, vous décidez de fermer les yeux, vos paupières sont loooourdes,
à trois vous ouvrirez les yeux et ne saurez plus du tout où vous êtes. Un,
deux, trois. Vous réouvrez soudainement les yeux. Le décor autour de vous est
sombre, vous voyez en noir et blanc plus une teinte bizarre de gris… Non, vous
n’êtes pas dans la peau d’un chien ni dans un film kétaine des années 50, c’est
encore le flash back. Nous sommes tout juste devant le bureau de tout à
l’heure, mis à part que cette fois-ci, les rideaux sont tirés et une pancarte à
louer 555-3892 est affichée dans la fenêtre. Du bruit parvient jusqu’à vos
oreilles. Vous vous retournez et apercevez deux silhouettes qui approchent,
l’une d’entre elle transportant un gros carton brun rempli de diverses choses
toutes plus bizarroïdes les unes que les autres.
— Regarde, S., voilà notre local ! S’écria
celle qui tenait le carton entre ses maigres bras.
Et oui, vous les avez
reconnues, ce sont bien A. et S., une semaine plus tôt ! Ah ! Ce qu’ils
grandissent vite, n’empêche… S. regarda le bureau avec appréhension. Elle ne le
sentait pas beaucoup, et elle ronchonna, comme d’habitude.
— A., cette histoire de détectives privés,
ça ne me dit rien qui vaille… Es-tu sûre que tu ne veux toujours pas, pour
l’émission culinaire ?
— La cuisine, c’est pour les lavettes !
Répliqua brutalement A. avec un ton macho. Regarde, nous sommes un beau jeudi
après-midi, dix facteur vent, temps dégagé, rien de mieux pour partir notre
propre bureau ! Pense un peu à tous les petits chats coincés en haut d’un arbre
que nous pourrons sauver, ajouta-t-elle plus tendrement, tentant de convaincre
S. une dernière fois.
— Mais enfin, on n’est pas pompiers, on est
détectives privés ! râla S., bien contente d’avoir une raison pour faire sa
rabat-joie.
— Il faut bien commencer quelque part, non
? S’exclama A. en levant les yeux au ciel. Et puis, tu peux pas me lâcher, car
sinon, ce ne sera plus les aventures tumultueuses de A. et S. !
— N’empêche que quand même, je le sens pas…
maugréa son adjointe, l’air maussade et les mains dans les poches.
Tout d’un coup, les bruits
autours de vous deviennent de moins en moins distincts. Les contours de A. et
S. s’estompent, vous voyez flou, et vos paupières redeviennent looooourdes. Hé
oui, vous avez sûrement deviné, c’est signe que nous quittons le flash back !
Vous apprenez vite. Vous fermez les yeux, et lorsque vous les réouvrez, vous
voyez à nouveau en couleur. Nous sommes de retour à notre époque, une semaine
plus tard, devant le cabinet de détective des aventurières tumultueuses. Voilà
déjà quelques jours que les préparatifs sont achevés, et la première journée du
bureau commence officiellement aujourd’hui. A. et S. sont prêtes à résoudre les
nombreuses enquêtes qui se dresseront devant elle… Il ne leur manquerait plus
qu’à recevoir leur premier appel. Les deux enquêteuses patientaient donc en
attendant, s’occupant avec les moyens du bord. A., qui avait trouvé un vieux
paquet de carte moisi dans le fond de la garde-robe, s’exerçait à un jeu de
patience, tandis que S. affichait ses posters de Tom un peu partout où elle trouvait
de la place. A. finit par s’impatienter, coincée avec un sept de carreaux. Elle
atomisa alors le jeu de cartes et se tourna vers S.
— S., tu te rappelles de ce que j’ai dit au
sujet de Tom ? Dit la petite détective en fronçant les sourcils.
— Oui, mais il est siiiiiii sexy ! Répliqua
S. en souriant bêtement, les yeux pétillants, des petits cœurs bidon flottant
dans les alentours.
— Je suis bien d’accord, mais n’empêche que
ça ne fait pas terriblement professionnel, grogna A. en chassant le troupeau de
cœurs, agitant les bras dans une sorte de danse ridicule.
— De toute façon, qui voudra bien recourir
à nos services, hein, dis-moi ? Nous ne sommes que deux adolescentes
inexpérimentées, nous n’avons jamais fait ce genre de trucs auparavant !
A. ignora son amie et sortit un
autre jeu de cartes de sa manche. Elle sentit immédiatement un regard noir dans
son dos, mais feinta n’avoir rien remarqué et commença une partie de black jack
contre elle-même. Puis, le regard de son assistante devenant de plus en plus lourd,
elle se retourna finalement pour confronter S.
— Oui, chère S., qu’y a-t-il ?
S. claqua amèrement la langue,
comme si ce qu’elle voulait demander n’était pas limpide comme de l’eau de
source (de l’Aquafina, pour être plus précis). Elle eut un petit regard
dédaigneux de hamster, que A. interpréta comme un signe d’affection.
— Tu veux un câlin, c’est ça ? Dit-elle
tendrement.
— Pas du tout ! S’empressa brutalement de
répliquer son acolyte. Je me demandais seulement où tes manigances allaient
nous mener, cette fois.
— Comment ça, mes manigances ? répondit A.,
feignant d’être offusquée pour tenter de convaincre S. qu’elle avait tord
(comme toujours).
— Ne fait pas
l’innocente, répliqua S. en levant les yeux au ciel. Depuis le début où on a
signé ce contrat débile d’aventures tumultueuses, tu n’as fait que nous foutre
dans le bordel, rappelles-toi tes combines dans le genre de la machine à
dominer le monde (© Acme) ou de l’enlèvement de Tom…
— Ce n’était que de regrettables incidents,
rien de plus ! Débita rapidement A., son teint virant au rouge.
La soudaine sonnerie du
téléphone empêcha S. de répliquer. Elle ne fit que lui jeter un autre de ses
regards noirs, ceux à vous foutre la chair de poule, puis partit répondre au
téléphone. A., son sixième sens de détective parano activé, sauta férocement
sur son adjointe et lui asséna un coup de téléphone bien placé entre les deux
yeux, juste avant de répondre.
— Bonjour, ici le cabinet de détective des
aventurières tumultueuses, vous avez un crime ou une disparition à signaler ou
même un chat coincé en haut d’un arbre, n’hésitez pas, nous sommes prêtes à
tout pour que vous soyez HEU-REUX, lâcha A. dans un discours préenregistré en
sortant un agenda et un stylo du tiroir de son bureau.
— Je suis représentant pour la sélection
Reader Digest, j’ai une offre exceptionnelle pour vous !
— PAS INTÉRESSÉ!!! gueula A. avant de
raccrocher sauvagement.
— Qui c’était ? demanda S., se relevant
avec peine en se tenant fortement le crâne.
— Un bignouf qui vendait une merde,
répondit A. d’un ton de vieille grand-mère aigrie.
Peinée (et surtout frustrée)
que son premier appel ait été un arnaque, la blondinette se versa une tasse de
café qu’elle vida d’un seul coup. S. préféra ne pas insister et s’assit sur
l’autre chaise disponible, en face de son acolyte. Peu après, le téléphone
re-sonna. A. se jeta littéralement dessus, faisant à nouveau basculer S. de sa
chaise.
— Bonjour, ici le
cabinet de détective des aventurières tumultueuses, vous avez un crime ou une
disparition à signaler, ou même un chat coincé en haut d’un arbre, n’hésitez
pas, nous sommes prêtes à tout pour que vous soyez HEU-REUX, lâcha de nouveau
A. avant de reprendre son souffle et l’agenda, par la même occasion.
— Bonjouir ! Se contenta de répondre la
personne à l’autre bout du combiné.
— Ah non! Ça pas question, vieux pervers !
Répliqua A., outrée par cette proposition déplacée.
— Désolé, je voulais dire bonjour !
— Ouais, bon, articulez mieux la prochaine
fois… grommela A., les sourcils froncés. C’est pour… ?
— Allons, prenez votre temps, vous êtes si
tendue ! Dit l’inconnu d’une voix un peu trop enthousiaste au goût de la
détective. Belle journée aujourd’hui, non ? Beau temps pour faire sauter un
immeuble, vous ne trouvez pas ?
A. se leva brusquement de sa
chaise, refrappant S. par la même occasion, qui s’écroula pour la troisième
fois depuis le début de l’histoire. L’œil injecté de sang, elle pointait un
ennemi invisible du bout de son index menaçant.
— QUI êtes-vous? Que cherchez-vous à faire
en appelant ainsi les honnêtes gens pour leur faire des propositions obscènes? C’est
quoi cette histoire débile de faire sauter un immeuble? Et pourquoi, POURQUOI
mon détergent laisse-t-il des empreintes sur mes magnifiques vêtements??? Hurla
la furie dans le combiné du téléphone.
— Pour répondre à vos multiples questions,
dit l’individu le plus calmement du monde, je suis M. T. Rorrist. J’ai été
engagé par les Industries Aventures Tumultueuses.Inc dans le rôle d’un
dangereux informateur-psychopathe-fou, je dois donc vous informer, c’est mon
devoir. Je parle de faire sauter un immeuble car je suis aussi terroriste à
temps partiel et j’ignore pourquoi votre détergent laisse des traces, vous lui
avez enseigné la propreté ?
S., redevenue lucide et
cherchant sans doute à se venger, arracha à son tour le combiné des mains de
A., ignorant ses cris de protestations, puis lui donna un morceau de steak cru
afin de la calmer et de pouvoir discuter calmement avec T. Rorrist.
— Aloooooors, écoute-moi bien le malade! Chuchota-elle
d’un ton colérique dans l’appareil dans une tentative d’intimidation semi
professionnelle, ne se souciant même pas que le combiné soit à l’envers. Tu ne
sais pas où on reste mais moi je le sais! C’est normal puisque j’y habite…
enfin bref, je connais tout de tes plans machiavéliques, parfaitement, oui! Je
sais que ce sera toi le responsable de toute l’histoire, que tu va chercher à
nous mettre des bâtons dans les roues et que tu vas voler les muffins au café
du coin, mais je ne te laisserai pas faire, oh ça noooooon ! J’en ai maté plus
d’un dans ma jeunesse fulgurante, même pas peur! Viens donc te baaaattre,
charogne pourrie !
S., crachant son venin un peu
partout, exécuta alors des mouvements
de kick-boxing dans le vide, manquant arracher un œil au passage à A., qui
avait terminé son steak. D’un regard désespéré, elle asséna une taloche à son
acolyte et récupéra le téléphone.
— Vous disiez donc être un
informateur-psychopathe-fou et terroriste à temps partiel… Malheureusement, je
dois vous informer que le fait d’être informateur va à l’encontre de la loi, je
dois donc vous appréhender.
— Et comment comptez-vous faire ? Tout ce
que vous connaissez, c’est mon nom !
— Exact, soupira A., c’est exact… Écoutez,
mon cher méchant, j’ai pas envie de parcourir la moitié de la ville pour vous
trouver, alors soyez un chou et donnez-moi votre adresse, que j’aille vous
arrêter, vous questionner et apprendre que ce n’est pas vous le véritable
méchant de l’histoire mais bien le Colonel Moutarde avec le chandelier dans la
bibliothèque.
— Et tu crois vraiment qu’il est assez
stupide pour te la donner ? Répliqua S., ayant repris connaissance et cherchant
de la glace dans le congélateur.
— Tout de suite ! s’exclama T. Rorrist.
J’habite au 1444, avenue sombre et pas très nette avec un dépanneur Esso, au
troisième derrière le caniche de la vieille du dessous.
— C’est pas vrai, quel con ! Râla S., le
sac de glace sur la tête, affalée sur le bureau.
— Hey, j’ai entendu ! C’n’est pas parce que
je suis terroriste que je suis sourd, répliqua l’informateur mystérieux.
— Ouais, ouais, ouais, c’est çaaaa… râla de
plus belle la brunette.
A. soupira devant le manque de
délicatesse de son amie. Elle nota l’adresse dans son agenda, puis se souvint
qu’elle devait passer chez le teinturier pour récupérer sa couette en peau de
girafe, elle le rajouta donc tout de suite après à son ordre du jour très
planifié et des plus palpitant.
— Merci d’être si coopératif, mon gars,
ajouta finalement A., on arrive tout de suite ! Oh ! et puis si vous pouviez
être déjà ligoté lorsqu’on arrivera, ça nous facilitera la tâche parce que je
dois passer chez le teinturier et j’ai un dîner chez ma mère, donc je suis
assez pressée.
— C’est ça, et demande-lui de se mettre au
four avec une pomme dans la bouche, tant que tu y es ! vociféra S.,
sarcastique.
— Mais pourquoi je lui demanderais ça, un
témoin cuit ne peut pas parler !
S. préféra ne rien ajouter
tellement la bêtise de son amie était désespérante. Puis, pour une raison
complètement inconnue et pour la quatrième fois depuis le début de la semaine,
elle se mit à radoter à voix haute dans le fond de la pièce sur tout et rien,
faisant une folle d’elle-même, ce qui ne changeait pas beaucoup de d’habitude,
il faut l’avouer.
— Si je suis coincée ici, si j’ai une vie
si pathétique, c’est la faute de ma mère, oui, elle ne m’a jamais aimé, elle ne
me bordait pas le soir, j’ai même jamais eu droit à la moindre petite histoire,
c’était jamais elle qui me préparait mes repas sur l’heure du midi avec un
petit mot affectueux à l’intérieur, même que mon père était un sans-cœur, à
l’âge de huit ans, il a jeté Bobo, mon toutou favori, et...
— Ferme-la, S., tu dérailles complètement,
lâcha A. à l’adresse de son amie.
Mais celle-ci radotait de plus
belle, ses délires paranoïaques devenant de plus en plus… délirants, justement.
Son œil sautait à une vitesse frénétique à faire jalouser le plus heavy
des dance-dance revolution, la jeune fille en était même à mimer des
gestes incohérents de ses doigts crochus de vilaine sorcière du Moyen-Âge. On
aurait dit une marionnettiste folle ayant abusé de vodka.
— …et le petit bonhomme Pitsburry n’a jamais voulu que je
lui flatte le bedon comme dans l’annonce, non, au lieu il m’a montré un drôle
de bout de pâte au milieu de ses petites jambes potelées, il me demandait sans
cesse : « Mange-moi, je suis fourré au milieu ! », et… et là
Michael Jackson arrivait avec ses fruits et lançait des ananas en couches du
haut d’un immeuble, et Ridge a divorcé d’avec Taylor dans Top-modèles car
celle-ci était en fait le caniche de son ennemi juré, et…
A., colérique de nature et en ayant ras le
pom-pom, craqua et jeta finalement son
dévolu sur S., qui plia face à sa rage comme un bambou dans les pattes velues
d’un panda obèse.
— FERME-LA, SALOPE, C’EST PAS POLI DE
DÉRANGER DES GENS QUI ESSAIENT D’AVOIR UNE PUTAIN DE NOM DE DIEU DE CONVERSATION
INTELLIGENTE AU TÉLÉPHONE, MERDE DE CROTTE DE CHIASSON!!! Hurla A., la couleur
de son visage étant soudainement apparentée à un quelconque crustacé cuit – et
non un prof de français, ne vous y méprenez pas.
S. redevint lucide et la regarda, choquée.
— À bien y réfléchir,
A., c’est également de ta faute si je suis aussi troublée psychologiquement! Depuis
le début de nos aventures que tu me frappes, me martyrises, te sers de moi
comme cobaye pour goûter à ta cuisine infâme et…
— JE T’AI DIT DE LA
FERMER!!! Hurla de plus belle l’enragée. Et si tu insultes à nouveau ma
cuisine, je te plante un parapluie dans le -MOT CENSURÉ CAR IL EXPRIME UNE
PARFAITE VULGARITÉ !!
— J’en veux pas, de ton parapluie merdique
! Répliqua S. avec méchanceté. Mais à bien y réfléchir, j’aimerais bien le
parapluie de Tom, oh ! ça oui! Cependant à un autre endroit que nous ne pouvons
pas vraiment nommer, car cette histoire est pour tout public, ajouta-t-elle, un
large sourire de con couvrant son visage de nonne.
— M. T. Rorrist ? Demanda A.
— Oui ? Répondit le concerné.
— Excusez-la. Alors, vous nous attendez ?
— Fort bien, j’ai hâte de vous voir !
Et A. raccrocha au nez de T.
Rorrist en claquant bien fort le combiné, fière de son coup.
— S., prépare les menottes et la p’tite
lampe de chevet qui aveugle, nous avons un suspect à interroger !
— Je n’aime pas ce sourire sur ton visage, A., commença S. de son petit
air effarouché, c’est signe qu’on va avoir de gros emmerdements, généralement.
A. ne prit aucunement le commentaire de son amie en
considération et la snoba en prenant grand soin de lui marcher violemment sur
les orteils. Puis, au lieu de se diriger vers la porte, pris la direction de la
cuisine. S. ne comprenait vraiment plus sa comparse… et se demandait pourquoi
ses orteils étaient aussi douloureux.
— A., mais où tu vas, enfin ? S’exclama-t-elle.
— Ben, c’est beaucoup plus rapide de sortir par le congélateur, tu sais,
se contenta simplement de répondre la détective.
— A, t’as perdue la boule ou quoi?? demanda S., à nouveau inquiète pour
la santé mentale de son amie. On peut pas sortir par le congélateur, c’est tout
simplement impossible !
— Bon, je vais mettre quelques petites choses au clair : ici, on est
dans MON histoire, alors si je veux qu’on sorte par le congélateur, on sortira
par le congélateur, est-ce bien clair, perroquet de mes deux ?
S., intimidée par l’aura de
puissance et de colère que dégageait A., préféra se taire et suivit celle-ci en
se massant vigoureusement le pied, puisque sa compagnonne avait déjà entré sa vilaine
tête dans l’appareil…
Après être restées coincées dans
le congélateur pendant au moins une heure, nos deux folles prirent les
transports en commun, n’ayant pas leurs permis de conduire – qui voudrait bien
leur en fournir un, de toute façon, ce serait pire que de donner une machette à
un psychopathe et de tendre le jaret! - et se pointèrent donc une autre heure
plus tard, à cause de l’achalandage et des squouidjeez, au 1444, avenue
sombre et pas très nette avec un dépanneur Esso, au troisième derrière le caniche
de la vieille du dessous.
A. défonça une porte
d’appartement qui s’ouvrit sur un décor sombre et tapissé de rideaux pourpres,
tamisé par une lumière ambiante causant d’étranges somnolences. A., luttant
contre le sommeil, remarqua une silhouette assise dans la pénombre de la pièce,
juste devant une boule de cristal plus grosse que sa tête.
— Tu sais, A., je crois qu’on s’est trompé d’appartement, lâcha S. en
baillant comme un hippopotame.
— On ne sait jamais, avec ce T. Rorrist, déjà qu’il est informateur,
mystérieux, fou et terroriste à temps partiel, rien ne m’étonnerait qu’il soit
médium avec ça, répondit la détective, presque sûre d’elle.
Elle s’avança alors à petits pas,
très tranquillement, vers la silhouette aux formes étranges, pointant un
flingue imaginaire sur elle en s’imaginant que c’était un vrai – c’est une
professionnelle (ou une folle), ne pas tenter de reproduire à la maison! Si un
medium pénètre par effraction chez vous, contactez immédiatement la police et
cachez-vous sous votre chat. Ceci était une annonce payée de la Sûreté du
Québec qui vous rappelle que boire et conduire en même temps, c’est mal, comme
le chante si bien Cayouche.
— Police, les mains en l’air ! hurla-t-elle soudainement, faisant
sursauter S., accrochant un vase qui éclata d’une violence non contenue contre
le sol. Veuillez vous rendre et coopérer avec nous, vous avez le droit de
garder le silence et ce fauteuil, juste dans le coin gauche, ajouta A. en
pointant une mocheté marron de la tête.
L’inconnu se révéla alors :
il s’agissait d’une petite femme rachitique, une incroyable masse de cheveux
blonds sur le sommet du crâne, le regard avide. Elle tenait une petite tirelire
en forme de téléphone dans ses deux mains aux longs ongles colorés d’un
orange-rouge très moche et pas du tout tendance.
— Vous venez pour une consultation ? Se contenta de répondre l’accusée,
de l’écume sortant de la commissure de ses lèvres incroyablement minces et
pincées.
— Mais… ? V’s’êtes qui, vous ? Demanda A., interloquée. Vous ne nous
appelez pas T. Rorrist ou Patrick Huard, rassurez-moi, vous n’êtes pas une
drag-queen ?
— Je suis Jojo Savard, médium-escroqueuse qui se sert de la crédulité des
gens pour s’enrichir encore et toujours, dit l’étrange femme d’une voix
monotone, le regard toujours vide.
— Désolé, on s’est trompé d’appart’, marmonna A. avant de refermer
brutalement la porte au nez de la voyante.
A. et S. se rendirent compte
après avoir défoncé toutes les portes de l’étage qu’elles étaient au deuxième
et non au troisième, comme celles-ci le croyaient. Elle se conformèrent en
excuses pour avoir dérangé Le Père Noël, dealant une affaire de drogue avec
notre feu Premier Ministre Jean Chrétien (que voulez-vous, à ce moment-ci, il
faut bien gagner son pain), en visite anonyme et en bavant de sa monstrueuse
cavité rocailleuse qui lui faisait office de bouche, ainsi que Mickey Mouse,
qui s’envoyait en l’air avec Minnie sur l’ecstasy, puis montèrent d’un étage
pour tomber nez à nez avec un petit caniche gardant l’unique porte délabrée du
troisième étage.
— Ah ! je crois qu’on à trouvé, dit A. en s’approchant un peu du caniche
qui se mit à grogner et à baver.
— Non, tu crois ? Répondit S. d’un ton sarcastique.
— Ben oui, sur la plaque de la porte, c’est écrit : « Vous êtes
bien au bon endroit, c’est qu’ici que je reste, moi, le mystérieux
informateur-terroriste, mais faites pas trop de bruit en rentrant, mon coloc’
révise pour ses examens du cégep. »
— Ouais, ben il ne nous reste plus qu’à tabasser le caniche de la vieille
du dessous, il n’a pas l’air très féroce…
Soudainement, un grand poof ! De
fumée grisâtre et malodorante se répandit dans la pièce. L’atmosphère passa du
rouge au bleu, puis au vert, au violet, au brun et pour finir à une couleur
indéfinissable tellement elle était laide et, en guise de finale, une lumière
éblouissante aveugla les deux acolytes qui durent fermer les yeux. En réouvrant
les paupières, elles découvrirent Jojo Savard, le visage déformé par la colère.
— Hey, patate, je suis pas vieille, j’ai à peine 35 ans ! Dit-elle
sauvagement en s’adressant à S. qui la fixait stupidement. Non mais, des
manières de traiter ses aînés, j’y crois pas!
— Non mais, qui croyez-vous convaincre, vieille peau, en apparaissant
ainsi pour une raison fort douteuse? Pis dégagez, c’est pas encore votre scène
! Dites aussi à votre maquilleuse de moins forcer sur la laideur, ça vous
embellirais déjà beaucoup, commenta brutalement mais néanmoins gracieusement A.
Notre jeune détective poussa
ensuite violemment et d’une intention totalement gratuite Jojo, qui déboula les
escaliers sans aucun effet spécial. On vit son petit corps s’affaisser comme
une marionnette dont le marionnettiste vient d’être congédié, puis l’action
principale revint à A. et S., permettant ainsi à nos agents corrompus des
homicides de camoufler cette chute provoquée en bête accident de tournage.
— Et comment on se débarrasse du caniche maintenant ? Demanda S. en
zieutant la bestiole, un peu craintive. Elle paie pas de mines, comme ça, mais
elle est vachement féroce! S’exclama S. en se frottant la main, dissimulant
avec peine deux petites morsures rouges.
A. ne prit même pas la peine de
lui répondre. Elle sortit de sa manche une balle colorée et caoutchouteuse qui
faisait un bruit aigu lorsqu’on la pressait et la lança par la fenêtre. Le
caniche, en bête canidé permanenté qu’il était, ne vit rien venir, aboya
joyeusement et sauta du troisième étage à la poursuite de la balle. On entendit
un sifflement curieux suivit d’un horrible bruit ressemblant vaguement à
shhhplassssshhh ! Puis, plus rien.
— Ah ! ben voilà, c’était aussi simple que ça, répondit enfin la jeune
fille aux cheveux platine.
— Oui, c’est facile quand on sort n’importe quoi de son manteau, répliqua
son assistante en lui jetant un regard noir.
— Rooooh, cesse donc de faire ta jalouse, S. !
— Moi ? JALOUSE ? Hurla l’autre.
— Oui, tu…
Bon, ça suffit vous deux,
retournons à l’histoire au lieu de faire un tel chichi pour rien ! A. défonça
la porte dans une routine installée confortablement. Mais ô ! Comble du
malheur, celle-ci s’ouvrit sur un décor délabré et en ruines, de la tapisserie
à fleur pendouillant tristement des murs. Le plancher était incroyablement sale
et poussiéreux, des traces marron suintaient du réfrigérateur probablement
déconnecté depuis un bon nombre d’années. Un vieux biscuit entamé mais jamais
terminé trônait sur les comptoirs aux coins moisis et au carrelage craquelé. A.
grimaça de dégoût, mais ne reculant devant rien, elle posa son petit pied dans
la pièce et se mit à inspecter les lieux. S. la suivit et lorgna le cookie du
coin de l’œil.
— Diantre, S., je crains que ce T. Rorrist nous aient menées en bateau !
S’exclama-t-elle en se frappant la paume du poing, ravivant par la même
occasion sa vieille blessure de criquet.
— Mais non, on est au troisième étage d’un immeuble pourri, pas sur un
bateau ! Se contenta de répondre bêtement son acolyte en mangeant goulûment le
biscuit abandonné.
— Ce n’est qu’une expression, pauvre sotte, dit simplement A., exaspérée.
Je crois cependant que nous ferions mieux de dégager d’ici vite fait, j’ai le
pressentiment que T. Rorrist nous a tendu un sordide piège et que celui-ci va
nous faire exploser par un quelconque moyen saugrenu !
Soudainement, nous changeons de
lieu dans un fade-in très convaincant avec une bande sonore d’une qualité
irréprochable… Nous nous retrouvons dans un lieu étonnamment sombre et indéfini,
un lieu mystérieux que je ne peux dévoiler car autrement je cafterais ce bon
vieux T. Rorrist et que vendre un des punchs principaux dès la septième page,
c’est pas terrible. De plus, les producteurs m’engueuleraient comme une
crevette pas fraîche et s’empresseraient de me virer pour me remplacer par un
chinois qui ne connaît pas deux mots de français, mais ils prétendent que ça ne
fait aucune différence.
— Damned, comment elle a fait pour deviner ? S’exclama le mystérieux
informateur, stupéfait par tant de perspicacité. Je dois trouver un autre plan
machiavélique pour la détourner de son but principal et avoir plus d’attention,
puisque j’en ai toujours manqué lorsque j’étais jeune, c’est pourquoi je suis
devenu si fou et si mystérieux.
Revenons à A. et S., toujours
coincées dans l’immeuble, se doutant des évènements à venir. A. leva un peu les
yeux, aperçu la réplique précédente et répliqua :
— J’ai deviné tout simplement parce que je suis l’héroïne de cette
histoire ! Répliqua-t-elle, trop occupée à prouver sa supériorité pour
remarquer qu’en conne intersidérale, elle fonce tout droit dans un piège.
— Oui, et moi le cannabis ! Ajouta S., tout heureuse de participer à
cette conversation.
— Mais qui m’a foutu une incompétente pareille ? Râla A. en se frappant
le front sous le désespoir.
— Ce sont les aventures tumultueuses de A. et S., tu te rappelles ?
Répondit son acolyte, cherchant d’autres biscuits à terminer.
— Diantre, il va falloir que j’en touche un mot à l’auteur !
— Mais c’est toi, l’auteure ! répliqua cette chère brunette en roulant
les yeux. Tu l’avais déjà oublié ?
— Diantre, c’est vrai ! Ma mémoire d’éléphant n’est plus ce qu’elle
était.
— Non, en effet, t’as régressé au stade de Libéral, émit sarcastiquement
S. avec un sourire sournois.
A. ignora le commentaire,
blessant pour sa réputation souveraine, sortit alors un petit carnet noir de
ses poches, y griffonna quelque chose à la hâte et le remit dans sa manche. Nos
caméras vidéo ont justement capté ce qui est passé inaperçu aux oreilles de
tous et dont nous n’aurons aucun remords à diffuser, au risque de briser la vie
d’innombrables personnes qui ne le méritait point. Que voulez-vous, nous sommes
financés par Quebecor.
— Réduire le salaire de S…. marmonna A. dans son carnet. Nous pouvons
revenir à l’explosion, ma chère, dit-elle en le rangeant. (réplique suggérant
beaucoup trop de polémique controversée pour votre pauvre petit cœur
d’insuffisant cardiaque. Retenez votre souffle, détournez votre attention de
l’écran et prenez rendez-vous avec votre cardiologue.)
— Ça signifie qu’on va crever si on bouge pas d’ici ? demanda S. à son
mentor.
— Jeune apprentie, vous êtes aussi perspicace qu’une marmotte sur
l’autoroute, se contenta de répondre mystérieusement A., une étincelle de
sagesse dans l’œil, ce qui était bien surprenant vu la personne impliquée.
— J’veux pas mourir vivante, pleurnicha S., j’veux pas que mon corps soit
réduit en charpie gluante et que les vautours viennent dévorer mes entrailles !
Jojo Savard ressortit
soudainement de nulle part dans un pop ! Étrange, l’air vaguement mécontent,
n’étant pas crédible de nature. Apparemment, elle avait décidé de laisser
tomber ses effets spéciaux, ils coûtaient beaucoup trop cher de toute façon.
— Mais vous avez fini de me piquer mon rôle et de tout prédire à ma place
? Dit-elle furieusement. C’est MOI la mystificatrice de série B., c’est donc
moi qui fait des prédictions barges !
— Roooh, on vous a pas sonné ! S’exaspéra A. en se tournant vers
l’étrange bonne femme. Cette histoire va n’importe où, m’enfin ! et cessez donc
d’apparaître à tout bout de champs, assumez donc votre petit rôle minable de
bouffeuse de kraft dinner à la noix!
— Surtout que je n’y suis pas encore apparu, ajouta une voix masculine et
légèrement chevrotante du dos des trois comparses.
A. et S. sursautèrent et se
retournèrent pour voir qui venait encore d’apparaître mystérieusement. Derrière
elles se tenait David Spade, incarnant Dickie Roberts dans le film du même nom,
l’air vaguement frustré, n’étant également pas crédible de nature – c’est un
acteur.
— Mais qu’est-ce que vous fichez ici, vous ? Demanda A., légèrement
interloquée.
— Je suis ici pour porter plainte ! Répondit ce cher David. Dans le
contrat que j’ai signé, il était clairement stipulé que j’aurais le premier
rôle et un cachet de 20 millions de $ !
— Woe, un instant la starlette, répliqua A., il s’agit d’un malentendu !
Premièrement, je ne vous ai pas engagé pour être la vedette principale, il
s’agit des aventures tumultueuses de A. et S., quel rôle auriez-vous pensé
jouer, le mien peut-être ? (sur ce elle accompagna ses gracieuses paroles d’un
roulement d’yeux opportun.) Et deuxièmement… 20 MILLIONS DE $ ??? (expression
du visage passant de la moquerie à un mélange de stupéfaction et de douleur
consternante.) Êtes-vous cinglé, je suis déjà en retard dans le loyer du
bureau, j’suis pas assez friquée, alors vous jouerez gratuitement, point. Sinon
c’est la fosse aux lionnes, et Mélanie Maynard a la réplique particulièrement
acide.
— Mais c’est de l’esclavagisme ! s’exclama Spade. De l’exploitationnisme,
de l’abusisme! Vous exploitez mon talent, ça ne se passera pas comme ça. Je
vais en parler à mon agent !
Et l’acteur Hollywoodien sortit
un portable de ses poches et composa un numéro en appuyant rageusement sur les
touches du téléphone. Pendant qu’il parlait à son agent, S. fit de gros yeux à
A. qui sut dès lors qu’elle allait passer un sale quart d’heure. Jojo, qui
elle, voyait qu’on ne lui portait plus attention, se téléporta dans sa laveuse
et nous fous finalement la paix jusqu’ai chapitre 3. Quel malheur, je viens de
gâcher un punch! Qu’un producteur vienne et me flagelle aux orties! Pas trop
fort tout de même, j’ai la peau très sensible.
— A. qu’est-ce qui t’a pris d’engager David Spade, nom d’un cookie ?
Gronda S., immensément fâchée.
— Bah ! Je pensais juste que ça nous prendrait des célébrités pour lancer
notre carrière… répondit A. d’une toute petite voix.
— CE TYPE GAGNE DES MILLIONS PAR FILM, -MOT CENSURÉ POUR CAUSE DE
VULGARITÉ INUTILE- !!!! explosa la furie. Toi et tes idées géniales,
rajouta-t-elle en articulant inutilement ses mots, semblant s’être calmée un
peu, mais toujours en colère. Je te jure qu’après cette aventure, j’appelle
l’aide juridique et je demande le divorce !
— Tu ne peux pas, S., réfléchit un peu… Pense à ton fils ! Dit A. en
poussant un sanglot déchirant.
— Pumpkin n’est pas mon fils, car… Je suis ton père.
S. retira alors son masque et sa
fausse perruque, laissant découvrir un casque noir et une cape tout aussi
sombre… Elle poussa un râle terrifiant, sa voix se mua en un soupir glauque,
elle empoigna alors son sabre laser d’une main assurée et… Oh, franchement,
c’est vraiment n’importe quoi ! Allez, on rembobine !
— CE TYPE GAGNE DES MILLIONS PAR FILM, -MOT CENSURÉ POUR CAUSE DE
VULGARITÉ INUTILE- !!!! explosa la furie. Toi et tes idées géniales, rajouta-t-elle
en articulant inutilement ses mots, semblant s’être calmée un peu, mais
toujours en colère. Je te jure qu’après cette aventure, j’appelle l’aide
juridique et je demande le divorce !
— Tu ne peux pas me laisser tomber comme ça, on a signé un contrat pour
trois ans et c’est irréversible, se contenta de dire calmement A. en
feuilletant le journal et en buvant un thé Earl Grey extra-caféiné.
— Tout ça c’est ta faute ! Hurla S., emporté par les vents de la colère
qui soufflent très fort, faut-il l’avouer. Si à la fin de notre secondaire 2,
tu n’avais pas composé « Le gala des Langeviers », ces producteurs
américains ne seraient jamais venus nous voir et on n’aurait jamais signé ce –MOT
(encore!) CENSURE, VULGARISME&CO- de contrat à la con !
— Non, c’est de TA faute ! Répliqua A., elle aussi en pétard. C’est toi
qui es toujours pessimiste, mes plans auraient parfaitement fonctionné si tu
n’étais pas aussi récitante à apporter ton aide à la population avec ce cabinet
de détectives !
S., sous le coup de la colère,
empoigna un set de vaisselle neuf laissé par la belle-mère et se précipita pour
le lancer en pleine face à sa comparse… Mais cette scène démontrant trop de
violence conjugale et pouvant choquer un jeune public a malheureusement été coupée
au montage. Nous nous retrouvons donc plus tard, lorsque les deux furies se
sont calmées et sont prêtes à se reparler normalement. David, dont le coup de
fil avait duré étrangement longtemps –coupé au montage?-, annonça
finalement :
— Mon agent était en grande conversation avec un réalisateur qui
m’offrait un rôle, je vais jouer dans « Les nuits chaudes de la
Palestine » avec Julia Roberts. A plus, les ploucs !
— Malheureusement, David, je ne crains que vous ne soyez mort avant
d’avoir put atteindre Hollywood, annonça A. avec gravité.
— Hein ? Pourquoi ? Vous avez engagé un tueur à gages pour m’éliminer
parce que j’ai refusé de jouer dans votre histoire, c’est ça ? Débita
rapidement Spade, les yeux exorbités, tremblant de spasmes paranoïaques.
— Ressaisissez-vous, David ! Lança amèrement A. en lui assénant une gifle
profondément bruyante. NOUS sommes les gentilles de l’histoire, c’est un
mystérieux informateur terroriste à temps partiel qui veut nous faire exploser
!
David Spade poussa un cri de
fillette et sauta dans les bras de S., qui s’effondra sous le choc. Les deux
aventurières semblaient prises au piège… comment découvrir où se cachait la
bombe ? Combien de temps leur restaient-ils avant de cramer avec l’immeuble ?
Était-ce à nouveau un plan vicieux de T. Rorrist qui voulait leur faire croire
qu’il y avait vraiment une bombe alors que ce n’était pas le cas ? Est-ce que E
égale bien MC au carré ?
Soudainement, le téléphone dans
le coin de la pièce se mit à sonner. La seule et unique raison qui avait
empêché l’identification de l’appareil auparavant, c’est qu’il était recouvert
d’une couche de poussière verdâtre et peu ragoûtante qui rendait indéfinissable
l’objet. S., simplement par politesse, s’en alla pour répondre. A. ne l’en
empêcha pas au début, puis, une mili-seconde avant qu’elle ne décroche, un
petit tilt ! Survint dans sa tête et elle sauta sur son acolyte pour l’empêcher
de faire la bêtise de sa vie.
— Hé ! mais qu’est-ce que tu fais, pauvre folle ? S’exclama S.,
mécontente d’être retenue prisonnière sous le petit corps rachitique de son
amie.
— Réfléchit un peu, S. ! Pense comme un désaxé!
— Je ne vois pas de quoi tu parles, crétine! S’écria son acolyte en
s’impatientant. La plus désaxée des deux, c’est toi je te rappelles.
— Ce que je voulais dire, S, c’est que, par un quelconque moyen
ingénieux, T. Rorrist a réussi à installer sa bombe dans le téléphone !
— A., j’ai peeeeur ! Pleurnicha sa comparse. Trouve vite un
moyen de nous sortir d’ici !
Elle se mit alors à réfléchir à
vitesse grand V, pressée par le temps. Elle fit les cent pas quelques temps, se
gratta la tête un nombre incalculable de fois, sortit un grand tableau noir et
le couvrit de longs calculs mathématiques d’une grande complexité, ratura des
phrases, fit une nouvelle coupe de cheveux à S. pour finalement s’arrêter en
plein milieu de la pièce, le regard vide.
— T’as trouvé quelque chose ? Demanda S.
— Oh ! certes, j’ai trouvé la solution au cancer, élaboré un moteur pour
voiture qui fonctionne au sirop d’érable, je t’ai fait une coupe de cheveux dans
l’hyper-vogue et j’ai également inventé un logiciel qui permet de
regarder gratuitement des singes se faire épiler en ligne, répondit A.,
pensive.
— Mais non, bêta kapu, je parlais de la bombe dans le téléphone !
— Ah ! ça… murmura-t-elle. Oh ! si, j’imagine que le téléphone est imbibé
de nitroglycérine et que le fil est en fait relié à un détonateur retenu par un
terroriste mégalomaniaque. Le simple fait de répondre envoiera des ondes micro
positives de force 4 à un réceptacle radiophonique qui calculera la force de
ces ondes et indiquera le moment exact au millième près où il faut déclencher
la bombe. Normalement, si on ne décroche pas, il n’y a pas de problème, mais
j’imagine qu’on con de figurant-touriste-américain passera par ici sans aucun
but précis autre que répondre au téléphone et de foutre sa merde bien grasse
partout où il passe, donc prévenir T. Rorrist de nous faire exploser, et je
calcule que nous aurons approximativement cinq secondes pour se carapater en
vitesse en exécutant une série de cascades abracadabrantes exigées par le
réalisateur.
— A., je crois que t’as lu le scénario, et pas ton texte, lui chuchota S.
— Oups, navrée, répondit celle-ci. Des questions ?
— Oui, on mange à quelle heure ? Demanda David.
— Vous, taisez-vous ! S’écrièrent ensemble A. et S.
— Bon, si c’est comme ça, grommela le concerné, je préfère m’en aller…
Il se dirigea alors en direction
du réfrigérateur miteux et moisi dans le coin, parmis les nombreux décombres,
ouvrit la porte et passa une jambe à travers sous les yeux ébahis de nos deux
aventurières.
— Qu’est-ce que vous faites, monsieur ? Demanda S., incrédule.
— Je me fais un masque de beauté, répliqua sarcastiquement Spade. Je
sors, qu’est-ce que vous croyez ?
— Mais… Vous êtes dans un frigidaire ! S’exclama S. en faisant des yeux
ronds.
— S., ne pose pas de questions, mon imagination est sans limites,
répliqua A., incitant sa compagne à garder son calme et ne pas sombrer dans la
folie (c’est un peu trop tard pour y penser). Je crois que nous ferions mieux
de le suivre, nous aussi, ce serait plus rapide, plutôt que de descendre les
escaliers.
S. préféra ne rien ajouter,
tellement elle trouvait que cette histoire s’en allait n’importe où. Cela ne
fait que confirmer qu’elle est jalouse de mon talent et de ma créativité.
Celle-ci se contenta de suivre A. qui passa une jambe dans le réfrigérateur et
qui s’arrêta net.
— Hé ! pourquoi tu t’arrêtes ? demanda la brunette. Ta tignasse de rat
décoloré, je te signale !
— Désolée, bug technique, dit A. en se tournant. J’ai mon pied dans les
fesses de Monsieur Spade.
— Si tu mettais ta godasse moins souvent au cul des gens, aussi, on
sauverait un temps précieux!
— Si tu n’étais pas aussi imbécilement obsédée par les cookies et par
Tom, on gagnerait en crédibilité et à la loterie plus souvent, bougre de
carcasse de pigeon rôti à la broche!
S. se préparait à répliquer une
remarque mesquine sur la paranoïa mal placée de A., mais l’acteur Hollywoodien
passa alors sa tête à travers le frigidaire et jeta un regard courroucé aux
deux acolytes.
— Loin de moi l’idée d’interrompre ce match de bitcheries dont j’aimerais
bien qu’il se termine en bikini dans le jello, commença celui-ci, mais il nous
reste à peine quelques secondes, dépêchez-vous, pour l’amour du ciel !
— Attendez, il y a quelque chose qui
ne marche pas, les interrompit A., pensive. Le figurant n’a pas encore fait son
entrée !
— Laisse ton figurant à la noix et sortons d’ici au plus vite, nom de
Dieu, jura S. en poussant dans le dos de son mentor.
Mais au même moment, un figurant
nowhere sortit de nulle part, regarda les alentours d’un air vaguement
intéressé et propre aux touristes, puis s’approcha du téléphone.
— Oh, God, it’s a telephone! Déclara-t-il d’un air ravi. I think that I will le décrocher
without aucune raison valable!
Avant que A. n’ait pu répliquer
qu’elle avait raison ou que les framboises allaient être bien mûres cette
année, S. la poussa plus que jamais pour éviter de se retrouver morte, ou pire,
que Jean Charest soit à nouveau réélu. Finalement, la petite équipe de nullards
réussit à sortir à temps, et malheureusement, le figurant crama sans doute dans
d’atroces souffrances (paix à son âme d’américain modèle et mondialisateur).
Une explosion retentit et les débris commencèrent à tomber tel des météorites
martiens pour mieux venir s’écraser à des endroits totalement justifiés, tel
les autoroutes et les Tim Horton’s. Un nuage de poussière s’abattit sur les
lieux, quelques morceaux de graviers roulèrent encore, puis le silence retomba.
Une sirène de police retentit dans les airs.
En se relevant des décombres de
l’immeuble, A. se tâta pour être sûre que tout allait bien chez elle, puis
essuya la poussière sur son long manteau de détective, ramassa son chapeau par
terre et se tourna vers S. d’un air enjoué.
— Diantre, nous l’avons échappé belle, collègue !
Malheureusement pour S., celle-ci
se trouvait dans l’incapacité de répondre puisqu’elle se trouvait sous David
Spade. Elle ne put donc que marmonner un râlement étouffé qui signifiait : « Tout
cela est bien beau mais fait moi sortir d’ici illico sinon tu vas avoir ma mort
finale sur la conscience ! ». A., prise de pitié, se décida à aider les
deux abrutis à se relever, ne pouvant laisser son assistante préférée dans une
telle détresse. En fait, elle avait surtout parié cent dollars avec un
technicien des effets spéciaux qu’ils réussiraient à s’en sortir indemnes, mais
ce n’est qu’un infime détail parmis tant d’autres.
— Malheureusement, commença celle-ci, les mains sur les hanches, T. Rorrist
n’a laissé aucun indice du lieu où il se trouvait.
— Flûte, jura S., il va aller voler les muffins au café du coin !
— Mais heureusement, cette aventure n’aura pas été vaine !
— Comment ça ? Demanda S. en se massant une épaule. T’as récupéré quelque
chose, un indice quelconque ?
— Non, mais j’ai ceci !
A. sortit alors triomphalement un
canard en plastique qui fait « couack-couack » de sa poche, devant le
regard désespéré de son acolyte.
— Grosse patate ! Râla la jeune fille en frappant le canard de sa paume,
qui alla s’écraser contre le sol. Cesse immédiatement de jouer avec ce machin
bon marché et filons directement à l’épicerie du coin, au rayon des petits pois
en canne !
— Mais, pourquoi donc ? Demanda A., un gros point d’interrogation
clignotant lisible sur son visage pendant qu’elle ramassait son canard et le
serrait tristement contre sa poitrine.
— Je sais pas, pour cadrer avec le titre, répliqua son acolyte en
haussant les épaules. Et puis, c’est toi l’auteure avec une imagination
douteuse, trouves-la toi-même, ton explication !
A. retourna chercher son tableau
noir qui avait miraculeusement survécu à l’explosion et le ramena sur les
lieux. Une petite paire de lunettes a monture noire qui lui donnait l’air
sérieux apparut dans un pop ! Sonore et une grande baguette de bois se retrouva
à portée de main. Elle la saisit et se mit à enchaîner des mouvements
grandiloquents tout en expliquant sa théorie grotesque.
— Mais non, dit-elle d’une voix forte, pour qu’il y ait une intrigue dans
l’histoire, les deux héros doivent attendre impatiemment le coup de fil du
mystérieux informateur qui leur révélera la suite des opérations, c’est la
tradition, m’enfin !
— Ouais, mais pour ça, il faudrait avoir un portable ou un téléphone à
proximité, ce qui n’est pas le cas.
Et, comme si tout le monde
s’amusait à la contredire, un type habillé de noir, le visage masqué par une
cagoule, sortit de la ruelle la plus proche, déposa un portable dans les mains
de S. et disparut par une plaque d’égout. Il échappa malencontreusement un badge
des Industries Aventures Tumultueuses par terre.
— Ben voilà, y’avait qu’à demander ! Répliqua A. en s’avançant vers sa
coéquipière.
Alors, le portable se mit à
sonner dans une sonnerie musicale et lobotomisante typique d’un cellulaire de
djeunz à la mod’. S. se dépêcha de répondre avec un enthousiasme non dissimulé
– trop gros pour le baobab, qui abrite déjà une centaine d’Ethiopiens.
— Allôôôôô ?
— Bonjour, je vous ai manqué ? Répondit la voix de T. Rorrist, à l’autre
bout du fil.
— Beaucoup, oui ! Répliqua S. en serrant encore plus le téléphone.
C’était quoi cette idée, de nous laisser poiroter dans un immeuble pourri avec
une bombe dans un téléphone ?
— Je ne pouvais tout simplement pas dévoiler immédiatement mon visage,
sinon j’aurais gâché le punch de l’histoire et l’auteur m’aurait lapidé avant
de se faire elle-même lapider par les sbires mesquins des producteurs.
Derrière S., son acolyte faisait
de grands mouvements des bras pour signaler que c’était d’elle qu’on parlait.
— Quant à la bombe, poursuivit T. Rorrist, je suis terroriste à temps
partiel, alors il faut bien que j’arrondisse mes fins de mois, au prix que
cette pingre me paie !
A., son
ouïe étant étonnamment développée en raison de sa paranoïa, entendit la
remarque et arracha le téléphone des mains de S., le visage marqué par la
colère.
— Vous saurez, môôôssieur, que 4,95 de l’heure, payé au noir, pour un
auteur débutant à l’imagination douteuse, c’est pas donné ! Et puis, au fait,
rajouta-t-elle, pourquoi vous appelez, mis à part pour vous plaindre ?
— Mais, vous le savez bien ! s’exclama T. Rorrist. C’est pour vous dire
de vous rendre au supermarché du coin au rayon des petits pois en canne,
suffisait de lire le titre du chapitre pour le savoir !
— Tu vois, je te l’avais dit ! Ajouta également S.
— Bordel, vous vous plaisez vraiment à gâcher mon histoire ! Râla A. en
levant les yeux au ciel. Et qui est ce qu’on va encore bourrer comme du foin
parce que tout le monde fait mal son boulot? C’est bibi!
Ils furent interrompus par David
Spade qu’ils n’avaient étonnamment pas entendu parler pendant un long moment.
Celui-ci pointait d’un air affolé une charogne en état de décomposition avancé.
— Dîtes-moi, demanda celui-ci, c’est normal que ce truc fasse «
tic-tac » ?
— Hé ! mais on dirait bien… commença S.
Elle approcha des restes de
l’animal et confirma ce qu’elle pensait : il s’agissait du cadavre du
caniche qui avait plongé de trois étages et s’était écrasé sur le trottoir, sa
petite balle caoutchouteuse couinante reposant à ses côtés comme une médaille
funéraire de guerre.
— La pauvre bête… murmura S.
Mais A. n’en avait que faire des
vestiges en putréfaction d’une quelconque bestiole insignifiante, car en voyant
cela, le calme qui alimentait ses yeux se mua en regard enragé. Elle poussa
alors un hurlement de colère à effrayer le bonhomme sept heures en personne,
qui eut pour effet d’achever de terroriser ce cher Spade qui trembla et se
cacha derrière un pauvre écureuil, maintenant impliqué dans cette sordide
histoire sans qu’on lui ait demandé quoi que ce soit.
— T. RORRIST!! Beugla A., la voix déformée par la rage. ATTENDS QUE JE
TE…
Mais trop tard, à l’autre bout du
fil, on entendait plus qu’un « tuuuuuuuuut… » strident. A. se résigna
et raccrocha, puis se tourna vers S., qui l’observait, l’œil vaguement interrogateur.
— Diantre, ce sale con a raccroché ! S’exclama-t-elle. C’est encore un
coup foireux de ce minable, dit-elle en guise d’explications à sa partenaire.
L’a planqué une bombe dans le cadavre de ce truc, faut la désamorcer si on veut
pas y passer.
— Cette histoire de bombe ne finira donc jamais ? Râla S., se tirant les
cheveux en tournant en rond comme Napoléon – rimes en ‘on’.
— Si je l’attrape, ce petit chenapan, il va en baver, croyez-moi ! Pesta
de plus belle A., résolue à prendre sa revanche. Mais le plus important, pour
l’instant, c’est de se débarrasser de ce colis piégé ! Et pour cela, il
faudrait charcuter le caniche et trouver le bon fil ! Et je mets définitivement
beaucoup trop de points d’exclamation à la fin de mes phrases !
A. sortit alors un canif de sa
poche et s’avança en compagnie de S. vers la dépouille défraîchie du canidé,
l’odeur pestilentielle titillant fortement les narines des deux aventurières…
~¤~Malheureusement pour nous, la scène qui suit contient
beaucoup de violence et de taches de sang qui risqueraient de choquer l’écran
de votre ordinateur. Afin de vous épargner des dépenses inutiles chez le
psychologue informatique, les Industries Aventures Tumultueuses.Inc préfèrent
vous offrir cette page de pub.
*djingle pub*
On aperçoit A., vêtue d’un sarrau
blanc, devant un décor tout aussi blanc et très peu naturel. Elle fait les cent
pas de droite à gauche, puis inversement, afin de mêler les webspectateurs (mot
fraîchement inventé du jour).
— Vous en avez marre de frotter, frotter, et toujours frotter cette même
tache qui persiste ? Aboie-t-elle en fixant la caméra d’un œil de morue frite.
Vous avez beau utiliser tous ces produits de marque populaire, elle refuse de
coopérer et persiste à squatter votre chemisier préféré ? Débite celle-ci de
plus belle, tel un colonel de l’armée américaine.
Elle
pointe alors l’air de son index et un bruit de trompette jouant un air
triomphant retentit au même instant. Peu après, une main sort de nulle part et
dépose devant elle une petite boîte de carton orange fluo que A. s’empresse de
saisir.
— Ceci, enchaîne notre paranoïaque favorite, CECI représente l’avenir !
Parfaitement ! Ajoute-t-elle peu après. Le détergent pour vêtements Chasstache
des Industries Aventures Tumultueuses.Inc viendra non seulement à bout de vos
taches les plus tenaces, diffusera non seulement une fraîche odeur délicate sur
vos vêtements, mais viendra en plus avec un porte-clés GRATUIT de vos
aventurières tumultueuses préférées ! Et, en plus de vanter toutes ses
propriétés à la télé, nous allons même vous faire une démonstration !
Au même moment, S. entre dans
l’objectif de la caméra, tenant entre ses mains délicates un chandail blanc
avec une É-NOR-ME tache marron semblable à de la m… à des détritus de
provenance douteuse. Elle salue A. d’un ton morne, mais son acolyte s’empresse
de la stopper, non sans mécontentement.
— Bonjour, camarade S. ! lance-t-elle d’un ton faussement jovial, un
large sourire faux-cul couvrant presque l’étendue de son visage. Que fais-tu
donc par ici, avec ce chandail sale, en PLUS ? (clin d’œil-clin d’œil à la
caméra.)
— Ben, j’allais le mettre au lavage, répond la concernée, un abruti a
laissé son chocolat fondre dessus, au soleil, en plus !
— Ah ! Lâche A., masquant sa gêne avec peine. Tu ne trouves pas que ce
serait le bon moment pour tester notre TOUT NOUVEAU détergent pour vêtement
Chasstache sur ton chandail, dis-moi ?
— Non, merci, réplique camarade S., c’est pas la peine, j’ai qu’à mettre
un bouchon de Toupart extra+ dans la laveuse et ça va s’en alle…
— Si, si, j’insiste ! la coupe notre présentatrice.
Elle arrache alors le morceau de
vêtement des mains de S. en ignorant les cris de protestation de sa part et met
la pièce dans la machine à laver avec la boîte complète de Chasstache. Elle le
passe ensuite au séchoir, le fait brûler devant les yeux de S. qui se retient à
grand peine de ne pas l’étrangler et lui redonne un tout autre chandail, en
tout point différent avec le précédent.
— Et voilà, un chandail complètement nettoyé grâce au détergent Chasstache
des Industries Aventures Tumultueuses.Inc ! enchaîne l’escroqueuse. Alors,
chère cliente, comment trouvez-vous l’efficacité du produit ? Complètement
génial ou merveilleusement bien ?
— Maaais, proteste S., le chandail est bleu, et en plus…
Elle le renifle et retrousse le
nez immédiatement, un air de profond dégoût peint sur son visage.
— En plus, il sent le crottin, achève-t-elle.
A. entraîne alors S. plus loin
dans la pièce, de manière à ne pas être entendue du public (vous, en
l’occurrence). On la voit d’abord écrire à la hâte sur un bout de carton
qu’elle remet ensuite à S. qui refuse, l’air perplexe. A. lui chuchote quelque
chose à l’oreille et S. devient livide, puis acquiesce silencieusement.
Ensuite, on ne voit que S. revenir alors que l’autre prend la direction des
coulisses. S. s’assit donc sur un petit banc, se force d’avoir l’air radieux et
sourit bêtement devant la caméra.
— Chasstache a vraiment changé ma vie ! Affirme-t-elle d’un ton un peu
trop enthousiaste pour être déclaré naturel par l’impôt fédéral.
Elle jette un regard de côté,
puis pâli encore plus. Elle se retourne vers la caméra, bien obligée de
poursuivre son mensonge.
— Vous voyez, avant, j’étais obligé de frotter durement, et…
s’interrompt-elle en plissant les yeux. Vous n’êtes que de pauvres crétins
abrutis par l’influence de la télé, moi, Pierre Karl Péladeau, j’exerce un
total pouvoir sur votre jugement et je n’hésite pas à répandre une propagande
grandissante, je vous fais subir un lavage de cerveau complet en vous
soumettant à l’écoute d’émissions superficielles ayant aussi peu d’intérêt qu’une
moule, cuite de surcroît. J’ai le pouvoir total, je suis le maître de la
diffusion télévisuelle, (insérer un rire machiavélique. Des cassettes
d’exercices du Docteur Terreur seront jointes ci-après le paiement effectué de
89,99$ tout en appliquant…. Mais c’est n’importe quoi tout ça !
S’exclame-t-elle bruyamment.
Puis, S. tourne une nouvelle fois
la tête de côté et pousse un cri de frayeur. La caméra tourne également, et on
aperçoit A., commençant tout juste à déchirer ce qui semble être un poster
piraté de Tom à poil. Sentant un peu trop de regards peser sur elle, la vilaine
aperçoit la caméra et dissimule le poster avec hâte dans son dos, l’air
furieux.
— Psssssht, retourne vers S., toi ! Chuchote-t-elle rageusement au
caméraman.
La caméra ne tourne pas
immédiatement, mais A. perd patience et balance un de ses converses puants dans
la tronche du caméraman. La caméra branle légèrement, et revient vite fait à
l’autre grande perche.
— Comme je le disais, reprend S. en guise de conclusion, Chasstache a
complètement changé ma vie. Maintenant, je n’aurai plus besoin de frotter, les
taches disparaîtront miraculeusement ! Merci, Chasstache !
On la voit alors se précipiter
dans les coulisses en hurlant : « Rends-moi mon poster, grosse truie
! ». Puis, l’écran s’embrouille et on voit apparaître un message à
l’écran : « Ceci était une présentation des Industries Aventures
Tumultueuses.Inc pour son produit nettoyant Chasstache. Les taches parties,
plus de soucis ! »
— Maintenant disponible en quatre parfums différents : Brise d’étâble,
Ronce des bois, Diesel numéro 5 et p’tit sapin qui pue, énumère une voix-off
mécanisée.
— MON POSTEEEEEER!!!
*djingle fin de pub*
Les Industries Aventures
Tumultueuses.Inc vous remercient d’avoir été patients. De retour à votre programme
principal. ~¤~
L’air de A. était tendu par la
concentration. De grosses perles de sueur dégoulinaient le long de son front,
et sa grosse langue baveuse dépassait joliment de ses fines lèvres tandis que
ses yeux dansaient une sorte de ballet grotesque, passant de droite a gauche à
une vitesse ahurissante. L’air etait lourd, tendu… La vie de plusieurs
innocents, dont un flamant rose cocaïnomane nommé Alphonse, dépendait de sa
seule décision… un faux mouvement, une infime erreur pouvait tous les projeter
dans l’abîme la plus profonde de la mort. Leurs corps seraient réduits en une
fine poussière qui se répandrait dans le vent, triste fin de dépouilles
abandonnées par la vie…
— Dit donc, c’est vraiment sérieux, siffla S. en regardant A. s’affairer
autour de la bombe. Tu rates et tu nous envoies croupir en enfer, merci !
— S., arrête de râler, crois-tu que j’ai demandé à être dans cette
situation ? Lâcha A., exaspérée mais tout de même concentrée à sa tâche.
— Oh ! bien entendu, « madame » n’est responsable de rien.
Cette chère A. n’est qu’une pauvre victime abusée.
— Qu’est-ce que tu raconte, j’ai jamais été abusée ! S’écria la concernée
en fixant sa comparse avec des yeux ronds.
On a pas le temps pour ce genre
de discussions banales, v’savez une bombe sur le four ! S’empressa de répliquer
le narrateur. Hein ? Mais c’est moi le narrateur ! ‘Faut que je prenne des
vacances, je commence à me narrer moi-même.
— Comme tu veux, répliqua l’aventurière tumultueuse avant de se remettre
au boulot.
De retour a notre dilemme. Deux
fils, un bleu, un rouge. Une bombe. Un caniche crevé. Beaucoup trop de violence
gratuite et de gros mots. A. choisira-t-elle l’œuf ou la poule ? (Dans ce cas,
imaginez-vous que l’œuf représente le fil bleu et la poule le fil rouge, ce qui
est plutôt cocasse car jamais cette comparaison stupide n’avait été faite par
le passé). La pression pèse lourdement sur les épaules de la jeune fille.
Sera-t-elle assez courageuse pour affronter cette terrible épreuve et sauver
ses camarades ou échouera-t-elle malencontreusement et s’écroulera-t-elle en
sanglot, tout cela juste avant de périr injustement par un châtiment cruel et
hélas très douloureux ?
— Mais merde, il me gonfle ce narrateur ! Éructa la brunette. Ah ! et
puis merde !
A., sans doute sous l’effet de
l’impulsivité et du tranquillisant a castor, et non pas parce que c’est une
écervelée maladroite et orgueilleuse, trancha le fil rouge a l’aide de pinces
particulièrement aiguisées laissées sur place par le gars des vues, et crispa
ensuite le visage dans une grimace quelque peu difforme. S. se boucha les
oreilles en priant le seigneur pour rester en vie, et David Spade, en imbécile
totalement efféminé, ne fit absolument rien. Ils attendaient une explosion… Qui
ne vint pas. A. rouvrit un œil. Puis l’autre. Elle ne semblait pas en croire
ses yeux…
— A., tu as réussi ! S’écria S. en retirant ses petits doigts de ses
oreilles cireuses. Je ne sais pas comment tu as fait mais tu as désamorcé la
bombe !
— Moi je sais comment j’ai fait, dit la détective, sans vouloir être
vantarde (ce n’est tellement pas son genre). J’y ai été au pif. Et par un coup
de chance incroyablement prévisible, j’ai coupé le bon fil.
— Je savais que réussiriez, dit David Spade en se relevant. C’est ce type
complètement ivre qui me l’a dit au bar, hier soir. Il était scripteur pour la
compagnie mais il s’était fait virer, apparemment, ajouta celui-ci en haussant
les épaules.
— Bon, c’est pas qu’on s’emmerde, coupa brusquement A., mais on a un
meurtre à élucider, alors on ferait mieux de se tailler en vitesse au
supermarché du coin. Oh ! et puis zut, c’est qu’on s’emmerde vraiment.
Soudainement, grâce aux effets
spéciaux mortels où tout le budget a flambé, qui comble le manque d’originalité
de l’histoire ainsi que le jeu minable de ses acteurs, A. et S. se retrouvèrent
immédiatement transportées, dans un medley d’effets à la Tarantino, au
supermarché du coin, abandonnant derrière elles un David Spade et un petit
caniche éventré totalement mystifiés…
A. et S. couraient comme des
débiles dans l’épicerie, bousculant aux passages les pauvres citoyens honnêtes
et scandalisés qui venaient faire leurs courses afin de combler des buts
non-lucratifs et une vie sexuelle insipide ainsi qu’une dizaine de mamies sur
le pouce venues du Lac St Jean afin de participer à une compétition de
Scrabble. Le rayon des petits pois en canne restait désespérément introuvable…
Le temps semblait leur jouer un vilain tour. Arriveront-elles a temps ? Je ne
crois pas, non. Car malheureusement pour les détectives en herbe, une forte
odeur de chair en putréfaction accompagnée d’une légère pincée d’origan et
d’épices à beefsteak encombraient les lieux à mesure qu’elles approchaient du
fond de l’épicerie. A. s’arrêta de courir pour lire une pancarte poussiéreuse
et usée par le temps.
— Dernier rayon : petits pois en canne… murmura celle-ci.
S. gémit en regardant l’allée
sombre qui s’offrait à elles sans aucune pudeur. Encombrés d’une étrange
noirceur, les lieux, baignés d’une sensation de malaise intense, le tout
combiné à l’odeur pestilentielle et la couleur vert hôpital des murs aurait
fait fuir le plus brave des chevaliers d’un temps perdu, mais comme dans ce
temps les chevaliers étaient des lavettes, autant dire qu’un bon samaritain
courageux aurait pu en venir à bout. Malheureusement, le budget ayant brûlé
dans les effets spéciaux, nous n’avons pas pu louer les services d’un bon
samaritain, donc en définitive A. et S. devront s’en passer et affronter le
danger seul, comme des grandes filles bourrées aux stéroïdes.
— Hors de question que j’entre là-dedans ! Pleurnicha S., cachée derrière
la silhouette imposante de son amie. Où est donc passée ma doublure ?
— Tiens, c’est vrai ca, où sont nos doublures ? S’interrogea A., n’ayant
auparavant point songé à cette coquine question. Gaaaaaaaaaaaaaastoooooooooooon
!
Un homme aux cheveux grisonnants,
la bedaine étirant un chandail taché de sauce brune, d’horribles lunettes a
l’ancienne mode rafistolées a l’aide de ruban à gommer, sortit des coulisses,
un casque écouteur posé sur ses oreilles joufflues. Il vint chuchoter quelque
chose à l’oreille de A. qui afficha une stupéfaction polie. Puis, Gaston
repartit courageusement sur son blanc destrier, lui aussi taché de sauce brune et
laissa nos deux comparses à nouveau seules.
— Diantre, S., Gaston vient de m’apprendre à l’instant que
nos doublures ont férocement été attaquées par des pandas importés du Tibet
lors de leur visite au zoo payée par la compagnie ! Annonça gravement A. tandis
que S. plaquait ses mains sur sa bouche avec horreur. Ce n’est pas tout ! Elles
auraient ensuite été agressées à plusieurs reprise par des singes des neiges
pour finalement servir de ballon a des otaries ayant la rage et découpées
sauvagement en pièces par des dauphins mutants mangeurs d’homme de six mètres
de long et pesant 4 livres et demi !
— Mais c’est… dégoûtant ! Articula S., sous le choc. Comment de telles
brutalités peuvent-elles encore être commises de nos jours ?
— Je sais, mon amie, je sais… compatit son acolyte en donnant de petites
tapes sur l’épaule de S.
— Enfermer tous ces pauvres animaux et les exhiber en spectacles comme
des bêtes de cirques, vraiment, c’est barbare !
A. cessa immédiatement de
compatir à la douleur de son amie et regarda à nouveau l’allée avec
appréhension. Enfin, celles-ci n’avaient pas l’embarras du choix… A. posa son
pied sur la limite de l’allée. Elle hésita encore quelques instants, puis
déglutit. S. en profita pour tenter de la convaincre une dernière fois.
— A., pense-y bien ! La prévint S., claquant des dents. Ne fait pas des
choses que tu pourrais regretter…
— Espèce de sans cœur ! Répliqua A. en lui décochant un regard noir.
Toute la population américaine compte sur nous ! Nous ne pouvons tout
simplement pas abandonner.
En effet, des spectateurs
américains s’empressèrent de dire un stupide « hello ! » à la caméra
tandis que des touristes chinois piaillaient comme des oiseaux surexcités en
prenant des photos avec leurs polaroids.
Mon Dieu, comme c’est gênant, poussa A. en se couvrant le
visage, honteuse.
Et, sans prendre compte des
avertissements de son amie comme quoi maman allait les gronder, elle s’engagea
dans le long couloir sinueux. Le parquet grinçait ; une créature malveillante
les fixait de ses yeux jaunes, cachée dans la pénombre des cannes de pois. Un
hurlement de loup se fit entendre, la silhouette meurtrière d’arbres courbés se
découpait dans la lumière opaque de l’endroit désolé. Au loin, A. entendit son
amie trébucher et se péter la tronche contre une racine, mais lorsqu’elle se
retourna, elle ne vit personne. A. se frotta les yeux, mais toujours rien. Les
lieux maudits lui jouaient une mauvaise plaisanterie… Bien qu’un sentiment de
malaise intense l’emplissait en ce moment même, la détective téméraire continua
sa route. Et elle eut raison, car au loin, se découpant dans la brume, un
étrange monticule sombre sortait de terre, une bosse surnaturelle, trop grosse
pour être un animal crevé, trop plat pour être une souche d’arbre. En
approchant de plus en plus, une pensée sombre se dessinait dans l’esprit de la
jeune fille, une hypothèse qui se révéla juste…
— Bon sang, murmura-t-elle, s’accroupissant auprès de la chose inerte.
C’etait un cadavre. Un homme,
dans la quarantaine environ, le teint huileux, extrêmement pâle. Il avait été
sauvagement dépecé, et un trou béant occupait la place où auraient normalement
été situé l’estomac et l’intestin. Des organes pendouillaient tristement un peu
partout, comme des jouets malsains et, pire que tout, l’homme avait des
pellicules. S. arriva finalement quelques secondes plus tard, mais, avant de pouvoir
prononcer un mot, jeta un coup d’œil à l’horrible scène et poussa un hurlement
de terreur.
— C’est… atroce ! Bégaya-t-elle, sa fine silhouette vacillant dans
l’atmosphère poisseuse du rayon.
— Nous arrivons malheureusement trop tard, collègue, lui dit A. en se
relevant, passant un chiffon poussiéreux sur ses mains.
Elle jeta ensuite un regard
dégoûté au cadavre de la victime, au sang séché qui imprégnait le carrelage du
supermarché.
— Et nous avons définitivement affaire à un tordu de la pire espèce…
Notre détective favorite soupira
et se massa les tempes. Tandis que S. se penchait sur la victime et
l’inspectait à son tour, non sans éprouver une profonde répugnance, A. regarda
amèrement le pancréas qui avait atterrit sur une enseigne. Cette histoire avait
largement dépassé le seuil de la tolérance… A. et S. réussirons-t-elle à
résoudre le mystère qui se dresse devant elles ? Qui donc serait assez cruel et
désaxé pour commettre un tel crime ? Ce qui devait être au départ une banale
enquête policière finira-t-elle en bain de sang ? Est-ce l’œuf ou la poule qui
est venu en premier ? La prochaine partie saura vous éclairer un brin soit
tant…
To be continued…